Que prône, à l’aube de l’ère moderne, un homme sage, désabusé par la tyrannie de ses congénères, par leur vanité et leur goût des apparences, quand il est clairvoyant sur leurs jeux de pouvoir ? Il prône le renoncement permanent aux illusions qui ne cessent de se renouveler, toujours. « La vie humaine est un combat contre la malice de l’homme même. »
Il n’y a plus qu’à répertorier les tactiques et stratégies de domination, à les épingler finement dans leur ambivalence, mêlant le bien et le mal. Désormais, le désenchantement est notre lot : aucun acte ne sera plus dans le bien pur. Dès lors, il faut s’en remettre à la prudence, c’est-à-dire s’efforcer de percer la vérité des êtres et des choses, et se garder de la déraison…
Cet homme, l’homme prudent pénétré de l’âpre vérité, c’est Baltasar Gracián (1601-1659), jésuite espagnol, auteur en 1649 d’un ouvrage sulfureux. Composé de 300 aphorismes et maximes, son « oracle » politique livre une vision inouïe, radicale, des mécanismes du pouvoir. Traduit en français sous le titre L’Homme de cour, son livre a connu un retentissement formidable à travers les siècles. Il faut dernièrement le livre préféré de Guy Debord.