L’affaire Dreyfus est souvent décrite comme un coup de massue tombant sur le jeu politique. Or c’est la crise politique larvée qui permit à l’erreur judiciaire initiale de devenir une affaire majeure, la première tentant d’ignorer la seconde, puis la récupérant tardivement pour relancer le régime et en empêcher la réforme. Cette vision heurtera sans doute ceux qui veulent d’abord voir dans l’Affaire un grand combat moral, mais cet élargissement de la perspective révèle les défaillances du moment et les déceptions ultérieures.
Pourquoi une erreur judiciaire est-elle devenue l’Affaire tout court ? Pourquoi l’opinion publique et la classe politique ont-elles été si longtemps hostiles aux dreyfusards ? Pour analyser le paysage et le climat où a surgi l’affaire Dreyfus et mieux en comprendre les évolutions puis l’insatisfaisant dénouement, il faut examiner les structures du régime qui la subit tant bien que mal ; la Troisième République et l’affaire Dreyfus s’éclairent dès lors l’une et l’autre.
Bertrand Joly, ancien conservateur aux Archives nationales, enseigne à l’université de Nantes. Il a notamment publié un Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français, 1880-1900 (H. Champion, 1998), Paul Déroulède (Perrin, 1998) et Nationalistes et Conservateurs en France, 1885-1902 (Les Indes savantes, 2008).