Après une parenthèse autobiographique (Chasse gardée en 1987 et les Royaumes déchirés en 1988), Juan Goytisolo revient au roman avec les Vertus de l'oiseau solitaire. S'appuyant sur l'oeuvre de saint Jean de la Croix et des poètes soufis, l'auteur-narrateur entreprend, à travers époques et espaces discontinus, une quête qui le mène du paradis perdu à l'Eden retrouvé. Sans cesse fluctuant, entre de multiples niveaux référentiels _ depuis les affinités de la mystique d'Espage et d'Orient jusqu'au tableau visionnaire de l'Inquisition et des dogmatismes à travers les siècles, en passant par l'évocation de la maladie _ " fléau " de notre monde actuel _, le texte de Goytisolo se eut transgresseur, hérétique. Car dans le langage de cet " oiseau solitaire ", comme dans celui du " Cantique Spirituel ", la transparence du mot cache une énigme insoluble. Le sauna d'une impasse parisienne délabrée est-il le Saint des Saints? Les lutteurs turcs dans une clairière figurent-ils l'extrême jouissance ou l'union de l'âme avec Dieu? L'hôpital-prison psychiatrique serait-il le plus court chemin pour parvenir au Lotus du Terme et ses doux rivages? Porté par cette narration sinueuse et simultanéiste, le lecteur accède ainsi aux mystères du sens et des sens, conjonction du sacré et de l'érotisme dans l'écriture. Grâce à ces vertus traumatisantes où se mêlent à la manière d'un palimpseste poésie, satire et ironie, l'Oiseau solitaire de Juan Goytisolo constitue un apport de premier plan à la révolution permanente du roman contemporain.