Souverain des Pays-Bas, roi de naples et d'une bonne partie de l'Italie, roi des Espagnes (et avec la Castille d'immenses territoires américains), empereur et à ce titre en charge des Allemagnes, enfin titulaire d'une demi-douzaine d'autres royaumes, principautés et duchés, Charles Quint (1500-1558) eut à assumer par le hasard des héritages le plus improbable empilement de couronnes que l'Europe ait jamais vu sur une seule tête. N'eussent été la France avec son précoce et efficace Etat-nation et (dans une mesure bien moindre) l'Angleterre, il ne fut pas loin de régner sur toute la chrétienté latine et d'accomplir le rêve que le Moyen Age avait en vain caressé avant lui : un empire universel et pacifié vivant d'une même foi mais laissant à chaque peuple son génie propre et ses usages.
La folie des hommes et la force des choses en décidèren autrement. Le choc entre "l'empire des alliances" et la France, l'incapacité de l'Eglise à se réformer et à s'adapter aux temps nouveaux, la pression de l'Islam ottoman et bien d'autres facteurs eurent raison de cette ambition, en dépit de la hauteur de vue, de la noblesse d'âme, de la générosité de Charles. Eût-il gagné la partie en mettant François Ier à genoux en imposant manu militari un concile, en faisant subir à Luther le sort jadis réservé à Jean Hus ; en systématisant les bains de sang comme il le fit une fois, malgré lui, à Gand ; en exploitant sans vergogne le sac de Rome perpétré sans son aveu par ses troupes et en jetant de l'huile sur le feu des divisions allemandes ? Il eût fallu pour cela être un politique roué, un cynique à la Louis XI plutôt qu'un chevalier. Bien qu'elle garde un certain mystère, son (ou plutôt ses) abdication(s) montre(nt) qu'il était habité par une soif d'absolu bien différente de la volonté de puissance, et plus impérieuse qu'elle.
En disciple de Braudel, Pierre Chaunu fournit les clefs indispensables à la compréhension du "temps long" dans lequel s'insèrent l'exceptionnel destin de Charles Quint et son échec final : poids des cultures et des mentalités, contraintes de la géographie et lenteur des communications, nécessités de l'hérédité, séquelles des haines ancestrales. Michèle Escamilla, elle, en tentant d' "entrevoir l'homme", s'attache à scruter minutieusement la part de liberté qui fut la sienne, celle dont il usa dans ses actes de gouvernement comme celle qui l'amena à renoncer et à se retirer après avoir partagé ses domaines. Rarement livre aura mis en oeuvre une telle somme de moyens pour faire saisir aux hommes d'aujourd'hui la radicale singularité d'une aventure européenne dont l'histoire humaine ne connaît aucun équivalent.
Pierre Chaunu, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, est professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, et Michèle Escamilla professeur à l'université de Caen. Tous deux ont de longue date consacré une grande partie de leurs recherches à l'Espagne du début des Temps modernes.
La folie des hommes et la force des choses en décidèren autrement. Le choc entre "l'empire des alliances" et la France, l'incapacité de l'Eglise à se réformer et à s'adapter aux temps nouveaux, la pression de l'Islam ottoman et bien d'autres facteurs eurent raison de cette ambition, en dépit de la hauteur de vue, de la noblesse d'âme, de la générosité de Charles. Eût-il gagné la partie en mettant François Ier à genoux en imposant manu militari un concile, en faisant subir à Luther le sort jadis réservé à Jean Hus ; en systématisant les bains de sang comme il le fit une fois, malgré lui, à Gand ; en exploitant sans vergogne le sac de Rome perpétré sans son aveu par ses troupes et en jetant de l'huile sur le feu des divisions allemandes ? Il eût fallu pour cela être un politique roué, un cynique à la Louis XI plutôt qu'un chevalier. Bien qu'elle garde un certain mystère, son (ou plutôt ses) abdication(s) montre(nt) qu'il était habité par une soif d'absolu bien différente de la volonté de puissance, et plus impérieuse qu'elle.
En disciple de Braudel, Pierre Chaunu fournit les clefs indispensables à la compréhension du "temps long" dans lequel s'insèrent l'exceptionnel destin de Charles Quint et son échec final : poids des cultures et des mentalités, contraintes de la géographie et lenteur des communications, nécessités de l'hérédité, séquelles des haines ancestrales. Michèle Escamilla, elle, en tentant d' "entrevoir l'homme", s'attache à scruter minutieusement la part de liberté qui fut la sienne, celle dont il usa dans ses actes de gouvernement comme celle qui l'amena à renoncer et à se retirer après avoir partagé ses domaines. Rarement livre aura mis en oeuvre une telle somme de moyens pour faire saisir aux hommes d'aujourd'hui la radicale singularité d'une aventure européenne dont l'histoire humaine ne connaît aucun équivalent.
Pierre Chaunu, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, est professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, et Michèle Escamilla professeur à l'université de Caen. Tous deux ont de longue date consacré une grande partie de leurs recherches à l'Espagne du début des Temps modernes.