La philosophie islamique déploie une intuition du réel qui importe au destin de la métaphysique. L'islam porte en lui, autrement dit, une ontologie qui appartient à la constitution de notre propre univers de pensée. Or, l'oeuvre de Mollâ Sadrâ Shîrâzî (mort en 1640) se veut précisément celle d'un témoin intégral de la révélation du réel divin en chaque acte d'être, de chaque existant, du plus humble au plus éminent. Ce livre s'efforce de saisir cette intuition du réel, nourrie du soufisme d'Ibn 'Arabî, de la philosophie de l'islam classique, de l'héritage grec, et de la dimension ésotérique et mystique du shî'isme.
Mollâ Sadrâ voit le monde se mouvoir sans cesse en une révolution ininterrompue de ses substances, et l'existence infinie briser ses limites successives, du sensible à l'intelligible, du minéral à l'ange. En une floraison d'épiphanies, dans le miroir multiple des corps et des âmes, il perçoit l'absolu de la liberté divine. Révélation de la liberté dans la métamorphose du fidèle et du sage, l'existence enseigne ce seul mot d'ordre : imiter le divin qui se donne à voir «sous la plus belle des formes».
Le noeud du politique, de la morale, mais aussi de la liberté et de l'ordre : voilà donc ce qu'il s'agit aussi de découvrir en lisant Mollâ Sadrâ, dans cet univers de pensée connexé au nôtre, et qui, Christian Jambet le montre admirablement, est indispensable à la connaissance de nous-mêmes.
Christian Jambet enseigne la philosophie en Khâgne au Lycée Jules-Ferry. Chargé de conférences à l'Ecole pratique des hautes études (section des sciences religieuses), il est notamment l'auteur de La Logique des Orientaux : Henry Corbin et la science des formes (Paris, 1983) et de La Grande Résurrection d'Alamût : les formes de la liberté dans le shî'isme ismaélien (Lagrasse, 1990), ainsi que de plusieurs traductions des grands philosophes et poètes de l'islam.