On peut persuader (et se persuader) d'idées douteuses ou fausses par de mauvaises raisons ou par des théories non valides, ou encore parce que l' " esprit est la dupe du coeur ".
Un troisième cas de figure apparaît comme négligé, malgré son importance, par ceux _ moralistes, sociologues, philosophes ou psychologues _ qui ont traité de l'art de (se) persuader. En effet, les croyances fausses peuvent aussi provenir des arguments les plus justes. Il suffit pour cela que se mêlent à une argumentation fondée des a priori auxquels on prend d'autant moins garde qu'ils peuvent plus facilement être considérés comme allant de soi. Un Simmel a bien vu que toute argumentation _ y compris la plus scientifique _ comporte des propositions implicites qui peuvent en altérer la nature et les conclusions. De sorte que le sujet connaissant peut induire son public et s'induire lui-même en erreur à partir de l'argumentation la plus irréprochable.
Les dérapages de l'inférence naturelle décrits par la psychologie cognitive suggèrent que l'homme moderne ne raisonne pas de façon moins irrationnelle et " magique " que le " primitif " cher à l'anthropologie du début de ce siècle. Or ces ratés de la pensée ordinaire peuvent être interprétés comme l'effet d'une contamination de l'argumentation par des énoncés implicites et inconscients.
Mais la pensée scientifique n'a aucune raison d'être immunisée contre ces interférences. De fait, on peut montrer que bien des idées douteuses proviennent de théories irréprochables et que, réciproquement, les idées reçues les plus fragiles s'appuient souvent sur une argumentation valide.
Les exemples analysés ici sont empruntés à diverses sciences humaines, mais la philosophie et la sociologie des sciences modernes y occupent une place de choix. D'abord parce que ces disciplines sont aujourd'hui actives et influentes, qu'elles abritent des théories solides et qu'elles donnent une forte impression de convergence et de cumulativité. Mais les conclusions relativistes qu'on en tire _ et qui ont fini par prendre la force d'un poncif _ ne sont que le résultat de ces effets de contamination de l'explicite par l'implicite.
Raymond Boudon, membre de l'Institut, est professeur de sociologie à l'université de Paris-Sorbonne. On peut citer, parmi ses ouvrages essentiels, L'Inégalité des chances (1973), La logique du social (1979), La Place du désordre (1984), L'Idéologie (1986) ainsi que le Dictionnaire critique de la sociologie (1982, en collaboration avec François Bourricaud).
Un troisième cas de figure apparaît comme négligé, malgré son importance, par ceux _ moralistes, sociologues, philosophes ou psychologues _ qui ont traité de l'art de (se) persuader. En effet, les croyances fausses peuvent aussi provenir des arguments les plus justes. Il suffit pour cela que se mêlent à une argumentation fondée des a priori auxquels on prend d'autant moins garde qu'ils peuvent plus facilement être considérés comme allant de soi. Un Simmel a bien vu que toute argumentation _ y compris la plus scientifique _ comporte des propositions implicites qui peuvent en altérer la nature et les conclusions. De sorte que le sujet connaissant peut induire son public et s'induire lui-même en erreur à partir de l'argumentation la plus irréprochable.
Les dérapages de l'inférence naturelle décrits par la psychologie cognitive suggèrent que l'homme moderne ne raisonne pas de façon moins irrationnelle et " magique " que le " primitif " cher à l'anthropologie du début de ce siècle. Or ces ratés de la pensée ordinaire peuvent être interprétés comme l'effet d'une contamination de l'argumentation par des énoncés implicites et inconscients.
Mais la pensée scientifique n'a aucune raison d'être immunisée contre ces interférences. De fait, on peut montrer que bien des idées douteuses proviennent de théories irréprochables et que, réciproquement, les idées reçues les plus fragiles s'appuient souvent sur une argumentation valide.
Les exemples analysés ici sont empruntés à diverses sciences humaines, mais la philosophie et la sociologie des sciences modernes y occupent une place de choix. D'abord parce que ces disciplines sont aujourd'hui actives et influentes, qu'elles abritent des théories solides et qu'elles donnent une forte impression de convergence et de cumulativité. Mais les conclusions relativistes qu'on en tire _ et qui ont fini par prendre la force d'un poncif _ ne sont que le résultat de ces effets de contamination de l'explicite par l'implicite.
Raymond Boudon, membre de l'Institut, est professeur de sociologie à l'université de Paris-Sorbonne. On peut citer, parmi ses ouvrages essentiels, L'Inégalité des chances (1973), La logique du social (1979), La Place du désordre (1984), L'Idéologie (1986) ainsi que le Dictionnaire critique de la sociologie (1982, en collaboration avec François Bourricaud).