Notre stupeur devant la tragédie yougoslave procède pour une part de l'amnésie: la Première Guerre mondiale nous a fait oublier les horreurs des guerres balkaniques de 1912 et 1913, et la Seconde nous a dissimulé l'ampleur des massacres des années 1941-1945 en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie ou au Kosovo. Les violences actuelles plongent leurs racines dans des antagonismes très anciens que les conflits de ce siècle et le communisme n'ont fait qu'exacerber.
De toutes les parties en guerre aujourd'hui, la Serbie est pourtant celle qui s'est donné depuis le plus longtemps l'arsenal doctrinal _ et donc les justifications intellectuelles et morales _ le plus élaboré. Comme le montrent les textes serbes, c'est dès le début du XIXe siècle que des écrivains, des prélats, des militaires, des hommes d'Etat serbes parlent de Grande Serbie, de " Serbie homogène et pure ", qu'ils exaltent la violence et qu'ils emploient le terme de " nettoyage " (ciscenje). Là plus qu'ailleurs, un patriotisme à l'origine légitime par la lutte contre l'occupant ottoman s'est laissé dévoyer par le nationalisme; l'" idée yougoslave ", dénaturée, s'est muée en un impérialisme teinté de racisme. S'il existe bien, à l'heure actuelle, à Belgrade, une opposition démocratique qui rejette la politique du pouvoir et s'il faut se garder de diaboliser le peuple serbe, on doit pourtant dire que c'est la tendance national-communiste dure qui y tient pour le moment le haut du pavé.
Ne serait-ce que pour des raisons linguistiques, les quelque vingt-cinq documents historiques qu'ont réunis, présentés et traduits dans cet ouvrage trois intellectuels français d'origine croate sont inconnus des opinions publiques occidentales. Certains d'entre eux forment la substance même de l'idéologie du gouvernement serbe et des tchetniks, et sont revendiqués comme tels; d'autres sont représentatifs de courants de pensée qui remontent très loin dans le passé. Tous attestent que les issues politiques et/ou militaires qui seront trouvées à ce conflit dramatique ne pourront faire l'économie de la nécessaire pacification des esprits et des coeurs.
Mirko Grmek est directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études; Marc Gjidara est professeur à la faculté de droit d'Orléans; Neven Simac, énarque, est cadre de l'administration centrale.
De toutes les parties en guerre aujourd'hui, la Serbie est pourtant celle qui s'est donné depuis le plus longtemps l'arsenal doctrinal _ et donc les justifications intellectuelles et morales _ le plus élaboré. Comme le montrent les textes serbes, c'est dès le début du XIXe siècle que des écrivains, des prélats, des militaires, des hommes d'Etat serbes parlent de Grande Serbie, de " Serbie homogène et pure ", qu'ils exaltent la violence et qu'ils emploient le terme de " nettoyage " (ciscenje). Là plus qu'ailleurs, un patriotisme à l'origine légitime par la lutte contre l'occupant ottoman s'est laissé dévoyer par le nationalisme; l'" idée yougoslave ", dénaturée, s'est muée en un impérialisme teinté de racisme. S'il existe bien, à l'heure actuelle, à Belgrade, une opposition démocratique qui rejette la politique du pouvoir et s'il faut se garder de diaboliser le peuple serbe, on doit pourtant dire que c'est la tendance national-communiste dure qui y tient pour le moment le haut du pavé.
Ne serait-ce que pour des raisons linguistiques, les quelque vingt-cinq documents historiques qu'ont réunis, présentés et traduits dans cet ouvrage trois intellectuels français d'origine croate sont inconnus des opinions publiques occidentales. Certains d'entre eux forment la substance même de l'idéologie du gouvernement serbe et des tchetniks, et sont revendiqués comme tels; d'autres sont représentatifs de courants de pensée qui remontent très loin dans le passé. Tous attestent que les issues politiques et/ou militaires qui seront trouvées à ce conflit dramatique ne pourront faire l'économie de la nécessaire pacification des esprits et des coeurs.
Mirko Grmek est directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études; Marc Gjidara est professeur à la faculté de droit d'Orléans; Neven Simac, énarque, est cadre de l'administration centrale.