Ce livre fait largement entendre la voix des communistes et des " ex ", et expose ce qu'ils ont produit au cours de ces trente dernières années. A la différence de ses aînés, l'intellectuel post-56 a souvent revendiqué sa définition d'intellectuel et, de plus en plus, a refusé de se soumettre aux politiques. Dans ce réveil des intellectuels communistes, la coupure décisive est l'invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968: s'étant identifiés aux acteurs du Printemps de Prague _ intellectuels comme eux-mêmes _, ils virent alors s'effondrer leur rêve d'une action positive de l'intelligentsia en pays communistes et leurs espoirs d'une réforme du régime soviétique. Depuis lors, ils renoncent à la production " au service du parti " et ont repris un certain contact avec le réel, que les utopies sanglantes du stalinisme leur avaient fait oublier. Cependant, l'absence d'analyse du stalinisme, " condamné " et non démonté, les maintient dans une situation auto-entravée. Face à la culture, on voit ici ce que produit le " point de vue de classe ". Face à la politique, ils continuent de ne pas savoir reconnaître le stalinisme partout où il est _ et pas seulement dans le Goulag. Ils ne peuvent admettre que les valeurs fondamentales de Marx " pouvaient difficilement être concrétisées autrement " que dans le totalitarisme stalinien (Kolakowski).
Aujourd'hui délaissé, Marx a suscité dans les années pré-et post-68 une pléthore de commentaires. Mais personne ne s'est interrogé sur l'une des bases les plus fausses de ses théories; il a été incapable de penser en fonction d'un homme réel, c'est-à-dire nullement angélique et rationnel, mais au contraire traversé de pulsions obscures, affronté à ses manques, à sa détresse intérieure, à la mort... Le volontarisme marxien entraîne nécessairement la violence faite aux hommes réels et aux structures sociales. Faute de remettre en cause les mythes fondateurs (et consolateurs) de la Révolution, ils sont condamnés à penser de manière mutilée et à rester en marge de la société. Ils connaissent bien aujourd'hui la faillite du socialisme, ils s'accrochent seulement à un refus de ce monde-ci, au lieu de travailler à le connaître et à l'améliorer. Le problème, c'est que ce refus immature du monde ne se limite plus aux intellectuels communistes. Comment faire admettre qu'aucun programme politique ne pourra assurer le " bonheur " des hommes? Ce monde, irrémédiablement tragique, exige des intellectuels, comme l'a écrit encore Kolakowski, qu'ils ne remplacent pas la pensée par l'engagement.
J. V.-L.
Aujourd'hui délaissé, Marx a suscité dans les années pré-et post-68 une pléthore de commentaires. Mais personne ne s'est interrogé sur l'une des bases les plus fausses de ses théories; il a été incapable de penser en fonction d'un homme réel, c'est-à-dire nullement angélique et rationnel, mais au contraire traversé de pulsions obscures, affronté à ses manques, à sa détresse intérieure, à la mort... Le volontarisme marxien entraîne nécessairement la violence faite aux hommes réels et aux structures sociales. Faute de remettre en cause les mythes fondateurs (et consolateurs) de la Révolution, ils sont condamnés à penser de manière mutilée et à rester en marge de la société. Ils connaissent bien aujourd'hui la faillite du socialisme, ils s'accrochent seulement à un refus de ce monde-ci, au lieu de travailler à le connaître et à l'améliorer. Le problème, c'est que ce refus immature du monde ne se limite plus aux intellectuels communistes. Comment faire admettre qu'aucun programme politique ne pourra assurer le " bonheur " des hommes? Ce monde, irrémédiablement tragique, exige des intellectuels, comme l'a écrit encore Kolakowski, qu'ils ne remplacent pas la pensée par l'engagement.
J. V.-L.