« Le temps du silure est celui des gestations longtemps secrètes qui crève d'un coup en enfantements apparemment catastrophiques.
L'idée m'en a été suggérée par l'image, entrevue en 1960, d'un silure géant somnolant dans le méandre enterré d'un fleuve saharien. Vienne un de ces déluges qui dévale des flancs arides de l'Atlas, et toute une faune assoupie dans des poches d'eau cachée se réveillera à la vie parmi les cadavres de chèvres, d'hommes ou de chameaux noyés. Libre au spectateur saisi par la vue de cette ruée de boue, si puissante, si éphémère, d'y pêcher les allégories historiques qui lui conviennent. Je ne saurais, pour ma part, en dire plus que ce que j'ai assez longuement suggéré dans ces pages. » (Louis Martinez)
En quittant Oran en 1962, au plus fort des « ratonnades » et des « roumicides », le narrateur est renvoyé vingt ans en arrière, à cette année 1942 qui « renfermait 1962 comme un poison » quand la métropole coloniale était devenue elle-même une sorte de protectorat allemand, quand l'histoire se jouait entre un maréchal (Pétain), un amiral (Darland), et deux généraux (Giraud, de Gaulle). Sur cet arrière-plan historique, le narrateur déroule des histoires individuelles et y accroche des bribes de la sienne à la recherche d'un temps enfui, ressuscité, mais plus encore d'un continent perdu dont n'émergeraient que quelques crêtes, un archipel d'îlots et de récifs entre lesquels sont lancées des passerelles de mots, dessinant, frêle mais vitale, une mouvante géographie de la mémoire.
Louis Martinez est né en 1933, à Oran. Boursier à Moscou en 1955-56, il a enseigné la langue et la littérature russes pendant près de quarante ans. Après Denise ou le corps étranger (Fayard, 2000), Le Temps du silure fait figure de second volet d'un vaste ensemble romanesque inspiré par la fin de la présence française en Algérie et intitulé Ciel ouvert.