Qui, aujourd’hui, se préoccupe des os et des cendres des personnes décédées ? Personne, est-on tenté de répondre, tant on répète à l’envi que notre société individualiste vit dans le déni de la mort. Et pourtant, l’enquête d’Arnaud Esquerre révèle que l’État ne s’est jamais autant soucié des morts. Retirant à l’Église son contrôle sur le devenir des cadavres, il a en effet étendu son emprise sur le territoire des os et des cendres. Or, depuis les années 1970, le rapport aux restes humains s’est profondément modifié, avec le recours de plus en plus massif à la crémation, les demandes de restitution de restes humains à des « peuples autochtones », la médiatisation des profanations de cimetières ou encore le développement des analyses ADN et de l’imagerie médicale. Face à ces bouleversements, les pouvoirs publics déploient une nouvelle politique : interdire que les morts, même réduits en cendres, séjournent ailleurs que dans l’espace public, empêcher ou limiter l’exposition de restes humains, transformer l’atteinte aux morts en un délit d’expression. Derrière ces changements majeurs des rapports entre les os, les cendres et l’État transparaît une manière inédite d’appréhender la communauté, les personnes et les corps, méconnue et passionnante.
Sociologue, Arnaud Esquerre est chercheur associé au Groupe de Sociologie Politique et Morale (EHESS) et il a enseigné à Sciences Po. Il a publié La Manipulation mentale chez Fayard en 2009.