Deux cents ans après, il est encore un mythe solidement établi: la Révolution serait fille des Lumières.
Daniel Roche, qui n'est pas historien à se contenter de clichés ni de lieux communs, a très tôt décidé d'aller voir au plus près les Lumières _ non plus seulement dans les salons des élites parisiennes, mais au plus profond des provinces. Pister leur diffusion dans la France d'Ancien Régime, c'est assurément visiter la République des lettres qui rassemble toutes les activités de l'esprit _ production du livre, rapports avec les pouvoirs de contrôle et de censure, participation aux institutions de sociabilité culturelle (académies, loges, sociétés littéraires) _ auxquelles participent écrivains, savants, philosophes et auteurs. Mais c'est également découvrir _ hors des institutions _ la pluralité des mondes de l'intelligence qui, chacun à sa manière, selon ses caractéristiques sociales et son outillage mental, s'appropria les Lumières.
Pendant que salons et académies instaurent des codes littéraires, proposent des normes de goût et définissent les objectifs du travail savant, que lisent les nobles perdus dans les châteaux de province, les aristocrates frivoles des hôtels parisiens, les négociants avides de connaissances pratiques? Quelles valeurs _ nouvelles et anciennes _ reprend et propage un notable du Midi dans sa correspondance adressée de par la vaste Europe? Quel credo diffusent les médecins, attachés à l'idéal nouveau de l'expérience et de l'expertise, rêvant de l'aménagement utilitariste d'un monde laïcisé? Qu'écrivent, lisent et comprennent les Rousseau du ruisseau, intellectuels demi-soldes et précepteurs qui gavent de savoirs éclairés les enfants de la noblesse mais se repaissent eux-mêmes, blessés dans leur orgueil, à la table de leurs palefreniers?
Voilà des Lumières plurielles étrangement partagées entre modernité et archaïsme. Et le lecteur, à la suite de Daniel Roche, de regarder tout ce monde, faire à son échelle l'Histoire, la Révolution comme la Contre-révolution.
Daniel Roche est professeur d'histoire moderne à l'Université Paris I.
Daniel Roche, qui n'est pas historien à se contenter de clichés ni de lieux communs, a très tôt décidé d'aller voir au plus près les Lumières _ non plus seulement dans les salons des élites parisiennes, mais au plus profond des provinces. Pister leur diffusion dans la France d'Ancien Régime, c'est assurément visiter la République des lettres qui rassemble toutes les activités de l'esprit _ production du livre, rapports avec les pouvoirs de contrôle et de censure, participation aux institutions de sociabilité culturelle (académies, loges, sociétés littéraires) _ auxquelles participent écrivains, savants, philosophes et auteurs. Mais c'est également découvrir _ hors des institutions _ la pluralité des mondes de l'intelligence qui, chacun à sa manière, selon ses caractéristiques sociales et son outillage mental, s'appropria les Lumières.
Pendant que salons et académies instaurent des codes littéraires, proposent des normes de goût et définissent les objectifs du travail savant, que lisent les nobles perdus dans les châteaux de province, les aristocrates frivoles des hôtels parisiens, les négociants avides de connaissances pratiques? Quelles valeurs _ nouvelles et anciennes _ reprend et propage un notable du Midi dans sa correspondance adressée de par la vaste Europe? Quel credo diffusent les médecins, attachés à l'idéal nouveau de l'expérience et de l'expertise, rêvant de l'aménagement utilitariste d'un monde laïcisé? Qu'écrivent, lisent et comprennent les Rousseau du ruisseau, intellectuels demi-soldes et précepteurs qui gavent de savoirs éclairés les enfants de la noblesse mais se repaissent eux-mêmes, blessés dans leur orgueil, à la table de leurs palefreniers?
Voilà des Lumières plurielles étrangement partagées entre modernité et archaïsme. Et le lecteur, à la suite de Daniel Roche, de regarder tout ce monde, faire à son échelle l'Histoire, la Révolution comme la Contre-révolution.
Daniel Roche est professeur d'histoire moderne à l'Université Paris I.