C’est un fait : les légions romaines ont bel et bien diffusé
les langues dites latines au sud de l’Europe. Mais faut-il
admettre de la même façon que des tribus nomades surgies
de la steppe avaient déjà diffusé l’« indo-européen commun »
de l’Oural à l’Atlantique ? Oui, démontrent les linguistes,
c’est bien la vieille langue-mère de nos idiomes courants.
Son vocabulaire nous en apprend d’ailleurs beaucoup sur
le quotidien des peuplades qui l’avaient jadis parlé. Elles
nous ont aussi laissé des traces irréfutables de leurs migra-
tions, confirment les archéologues. Elles nous ont même
légué leurs mythes et leurs rites, ajoutait Dumézil. Pour-
tant, l’ « idée indo-européenne » bute sur un ultime et grand
mystère : comment des bandes éparses de pasteurs nomades
ont-elles pu imposer leur lexique et leurs mœurs à des
indigènes si éloignés, en outre bien plus nombreux et souvent
plus évolués que les intrus venus les coloniser ?
C’est sur ce mystère que Georges Sokoloff, armé des plus
récents travaux sur l’épopée indo-européenne, enquête ici.
Ce regard jeté sur ces ancêtres nomades venus de loin peut
aussi devenir, à notre époque d’intenses migrations, de
replis identitaires et d’esquisse d’une civilisation-monde,
un thème de réflexions rêveuses.
Georges Sokoloff, éminent spécialiste de l’histoire russe, est
professeur émérite à l’Institut national des langues et civili-
sations orientales et conseiller au CEPII (Centre d’études
prospectives et d’informations internationales). Il est l’auteur
aux éditions Fayard de La Puissance pauvre, de Métamorphose
de la Russie et de La Démesure russe, mille ans d’histoire.