À Buchenwald en 1944, des communistes allemands sauvent un enfant juif âgé de trois ans d’un convoi pour Auschwitz en rayant son nom de la liste. Un autre partira à sa place. Les circonstances de ce sauvetage et la découverte de procès secrets de détenus politiques, kapos de Buchenwald, menés à la fin de la guerre dans la zone d’occupation soviétique et en RDA, ont soulevé un débat en Allemagne de l’après-réunification : victimes du nazisme, les antifascistes auraient-ils été aussi des collaborateurs ?
Fondée sur l’écoute de témoignages (en anglais, allemand, russe et français) essentiellement collectés par la Shoah Foundation, croisés avec la littérature mémorielle ainsi qu’avec des archives personnelles de déportés (notamment de David Rousset), l’étude de Sonia Combe montre comment la substitution de déportés a pu être une modalité de survie dans les camps de concentration dont ont bénéficié aussi bien Stéphane Hessel qu’Imre Kertész ou encore Jorge Semprun. Analysant la pratique de l’échange comme une situation à laquelle médecins déportés et prisonniers politiques ont été confrontés au quotidien, elle s’interroge sur les usages de la révision de l’histoire de l’antifascisme dans l’Allemagne actuelle. Loin d’idéaliser la conduite des détenus comme avait pu le faire une certaine vulgate de la résistance antifasciste, il s’agit de voir dans quelle mesure le jugement porté désormais sur eux serait tributaire d’un nouveau climat politique et d’une reconfiguration des mémoires.
Sonia Combe est historienne, chercheure à l’ISP-CNRS (Université de Paris-Ouest) et chercheure associée au Centre Marc Bloch, à Berlin, où elle a enseigné à l’université Humboldt et à la Freie Universität.